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La Namibie…

Les vagues s’écrasaient sur la plage, recrachaient des manchots ; Zina observait le Zoulou, plongé dans sa lecture, étrangement pâle sous son masque. Leur rencontre tenait du courant d’air. Un élan qui n’aurait jamais dû avoir lieu, et les précipitait pourtant l’un vers l’autre. Ce n’était pas le moment mais ce ne serait jamais le moment.

— Si on arrêtait notre cirque ? dit-elle.

Il releva la tête, totem noir sur le sable.

— Tu crois que je suis bigleuse ? relança-t-elle crânement. Tu crois que je ne vois pas comment tu me regardes ?

Neuman se décomposa un peu plus mais il ne répondit rien. Des cadavres flottaient en surface, par dizaines, exsangues.

— La tournée s’achève demain soir, dit-elle. Après, je ne sais pas… Je quitte la ville, Ali, sauf si tu me retiens.

Il n’entendait plus le tonnerre des vagues sur la plage, ni les cris des manchots. Le monde avait basculé. Une chute libre.

— Je suis désolé, dit-il du bout des lèvres.

Zina serra ses jolies dents.

— Redis-le ! siffla-t-elle. Vas-y : redis-le-moi !

Des larmes ruisselaient sur ses joues. Elle se réveillait le matin avec l’odeur de sa peau, elle résistait à l’eau, au vent, au feu sous ses pieds, son odeur l’attendait dans son lit, sa loge, elle la suivait dans les couloirs, les rues, l’air tiède du soir, elle passait dans les embruns, son odeur, son odeur partout.

Ali baissa les yeux. Il vit ses pieds nus sur la roche découpée, le dessin de ses chevilles, ses jambes, et sa robe qui dansait…

— Je suis désolé…

Et il mourut là, au milieu des manchots.

8

Les animaux sortaient à la nuit tombée. Un couple d’oryx passa dans la plaine, en quête de feuilles tendres poussées avec la dernière pluie.

— Qu’est-ce qu’ils foutent là, ces connards ? maugréa Mzala depuis la terrasse de la ferme.

Le tsotsi était nerveux. Il s’en foutait bien des bestiaux, du sable, du désert. Mzala pensait dollars. Mozambique. Retraite anticipée. Palaces et chattes en chaleur.

— On va rester là combien de temps ?

— Le temps qu’il faudra, répondit le boss. Tu ferais mieux de dormir…

L’ancien militaire buvait du rooibos tea, confortablement installé dans un des fauteuils de la terrasse.

Mzala scruta le désert. Toute cette immensité lui fichait le cafard. Il n’avait pas envie de dormir. Les speeds, ou plus sûrement la peur de se réveiller avec une lame entre les omoplates, le tenaient debout. Terreblanche détestait tous ceux qui ne rosissaient pas au soleil : le Chat avait pris certaines précautions qui l’empêchaient de le liquider sur-le-champ, mais il ne fermerait les yeux qu’une fois loin d’ici, avec son fric. Cette attente l’insupportait — Mzala détestait attendre. Si son statut de chef lui accordait des privilèges à l’intérieur du township, cette situation était désormais caduque. Le gang des Americans avait vécu, paix à leur âme damnée. Mzala avait respecté sa part du contrat : il avait récupéré les somnifères à l’église de Lengezi, éliminé au passage l’autre petite pute qui nourrissait les cochons et la grosse mama débarquée à l’improviste, et fini par brûler les langues à l’essence avant de suivre les autres jusqu’à la piste de l’aérodrome…

— Qu’est-ce qui vous empêche de me refiler le reste du pognon, grogna-t-il : là, maintenant ?

— On en a déjà parlé, pérora Terreblanche depuis son trône d’osier. Les frontières doivent être surveillées à l’heure actuelle et je ne tiens pas à ce que tu tombes entre les mains de la police… Tu passeras à l’étranger quand la filière sera sûre.

C’était faux : il pouvait se déplacer d’un pays à l’autre sans risquer de tomber sur un fonctionnaire zélé, mais le chef des Americans était une brute épaisse qui, sitôt l’argent empoché, claquerait son pactole en voitures de luxe, bijoux en or et bimbos ostentatoires. Le disque dur était en lieu sûr, chez ses commanditaires, sa fortune et celle de son fils assurées, mais les flics restaient sur le qui-vive. Joost ferait le mort, le temps que les choses se tassent. Après seulement il retrouverait Ross en Australie. L’argent achetait tout. L’argent rachetait tout…

— C’est pas ça qu’était prévu, s’entêta Mzala : ce qu’était convenu, c’est qu’une fois l’opération terminée, je me casse avec ma part.

— Personne ne partira d’ici sans mon assentiment.

— C’est quoi, ça ?

— Mon accord.

— Notre accord, c’était le pognon. Un million. Cash. Ils sont où mes dollars ?

— Tu attendras, comme les autres, trancha Terreblanche. Point final.

Mzala grimaça dans l’obscurité. Il se demandait si cette face de lune avait le fric ici, quelque part dans un coffre, ou une planque à la noix… Le Cessna qui les avait déposés ce matin était reparti avec le matériel, ils étaient maintenant seuls au milieu de ce désert qu’il ne connaissait pas.

Un silence de plomb régnait sur la terrasse, à peine troublé par la brise nocturne. Les oiseaux de nuit s’étaient tus. Les oryx aussi avaient fui… Mzala allait s’enfermer dans sa chambre, son arme à portée de main, quand un cri retentit près du hangar.

* * *

Neuman avait coupé le moteur du 4x4 sur le bord de la piste avant de parcourir les derniers kilomètres à pied. L’étui qu’il portait à bout de bras élançait sa côte endolorie ; d’après sa carte de la région, la ferme se situait derrière les dunes de Sossusvlei, à l’ouest, loin des sites touristiques…

La lune le guida sur la plaine désertique. Il marcha un kilomètre en suivant la croix du Sud, les poches de son costume poussiéreux alourdies par les chargeurs. Les dunes se découpaient dans l’obscurité. Enfin, il aperçut une lumière au loin, puis une clôture qui délimitait la ferme.

Une autruche s’enfuit à son approche, sentinelle affolée. Neuman fit passer l’étui de l’autre côté de la clôture avant d’y grimper. Il serra les dents et pénétra dans la propriété privée : une vingtaine d’hectares, d’après les infos de Zina, jusqu’aux contreforts des dunes de Sesriem. Il se dirigea vers la lumière tremblotante, s’arrêta à mi-chemin, évalua la topographie des lieux. Il cala son étui sur son épaule et, après quelques minutes d’ascension pénible, atteignit le sommet de la plus haute dune. On apercevait la ferme de Terreblanche sous la lune, et le bâtiment de préfabriqué en contrebas, près des enclos.

Neuman posa l’étui métallique sur le sable. Le fusil était de marque Steyr, avec lunette de visée laser zoom x 6, muni d’un silencieux, et de trois chargeurs de trente balles de calibre 7,62. Une arme de sniper. Il le monta soigneusement, vérifia le fonctionnement.

Il essuya la sueur sur son front et s’allongea sur la crête lisse. Le sable était doux, presque frais. Il balaya l’étendue avec la lunette infrarouge, repéra la ferme, l’extension — un entrepôt sans doute… Il y avait deux hommes sur la terrasse, qui semblaient discuter, et deux 4x4 dans la cour… Le baraquement de préfabriqué se situait un peu plus loin, à cinquante mètres. Un garde patrouillait, fusil-mitrailleur en bandoulière. Un autre fumait sur le chemin menant à la piste principale. Neuman le fixa au centre de sa mire et l’abattit d’une balle dans le dos. L’homme tomba face contre terre. Il braqua le fusil vers la cour et retrouva le second homme : la cible dansa un moment dans la lunette avant de pivoter brusquement sous l’impact.