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Il vérifia le magasin de son arme et frémit en voyant le chargeur : il ne lui restait plus qu’une balle.

Un vent tiède coulait sur les hauteurs. Ali s’allongea et balaya l’horizon. Des champs de bosses aux contours indistincts se succédaient, monotones. Des traces apparurent bientôt dans la visée infrarouge, un tracé rectiligne… Il suivit la trajectoire et débusqua la silhouette du fugitif. Il marchait à pas cadencés, un revolver à la main. Trois cents mètres, à vol d’oiseau… Neuman bloqua sa respiration, oublia jusqu’au vide dans sa tête, et pressa la détente.

La détonation perça le silence.

L’homme au bout de la mire s’affala sur le sable.

* * *

Neuman s’était approché en braquant son Colt mais Terreblanche ne bougeait plus. Il gisait à terre, son automatique à portée de main, à demi évanoui… Ali jeta l’arme au loin et s’agenouilla près du blessé. Son front ruisselait. Il tâta son pouls, vit qu’il respirait. Neuman souleva le tee-shirt kaki, poisseux de sang : la balle avait touché un rein, manquant de peu le foie.

Terreblanche rouvrit les yeux pendant que Neuman évaluait la plaie.

— J’ai de l’argent…, marmonna-t-il. Beaucoup d’…

— La ferme ou je te laisse crever là.

Dévoré par les chacals : une fin heureuse… Mais Neuman le voulait vivant. Les documents relatifs aux expérimentations avaient disparu, les traces du labo, les témoins… Il n’avait rien trouvé dans la ferme. Mzala mort, ramener cette ordure était sa dernière chance.

Terreblanche était pâle sous la lumière des astres. Neuman vit alors une vilaine piqûre sur son avant-bras : une piqûre d’araignée, visiblement… Il pressa l’avant-bras à l’endroit de la morsure : un mince filet jaunâtre s’écoula. Une araignée de sable. Certaines pouvaient être mortelles.

— Cette saloperie m’a piqué, maudit le blessé.

La nuit était encore noire, les dunes approximatives sous les étoiles. Neuman releva l’homme étendu sur le sable et, sans un mot, l’aida à marcher.

Il leur fallut près d’une heure pour rejoindre les carcasses fumantes.

Si le Zoulou suait sang et eau, Terreblanche avait gémi tout du long : il s’affala près des 4x4 calcinés, à bout de forces. Une odeur âcre s’échappait encore des véhicules, empuantissant la vallée. La dépouille de Mzala reposait un peu plus loin, une forme noire et rabougrie qui lui rappelait son frère Andy… Occupé à presser un mouchoir sur sa blessure, Terreblanche n’adressa pas un regard à son complice : son teint était cireux aux premières lueurs de l’aube. Le venin commençait à faire son effet… Neuman vérifia de nouveau le fonctionnement de son portable, sans succès : il n’y avait pas de réseau.

Un voile d’inquiétude passa sur son visage.

— La piste se trouve à combien de kilomètres ? lança-t-il à Terreblanche.

L’ancien militaire releva à peine la tête.

— Walvis Bay, dit-il. Une cinquantaine de kilomètres.

— Et la première habitation ?

L’autre fit un geste évasif :

— Y a que du sable par ici…

Neuman grimaça. La ferme était à plus de trente kilomètres… Il évalua le bleu du ciel, sur la crête des dunes. Les véhicules étaient hors d’usage et les secours n’arrivaient pas : ça faisait pourtant plus d’une heure qu’ils avaient pris feu…

Terreblanche déchira un bout de son maillot de corps pour remplacer son mouchoir imbibé. Le sang commençait à coaguler mais la blessure lui faisait un mal de chien. Son bras se mettait à enfler. Il jeta un œil au flic noir qui guettait un signe du ciel, soucieux. Terreblanche comprit alors pourquoi :

— Quelqu’un sait que nous sommes là ? demanda-t-il.

— Non.

Le désert du Namib était l’un des endroits les plus chauds du monde. À midi, la température atteindrait cinquante degrés à l’ombre, soixante-dix au soleil : sans eau, ils ne tiendraient pas une journée.

9

Les scientifiques savaient depuis longtemps que les gènes n’étaient pas des objets simples : les relations entre génotype et phénotype étaient si complexes qu’elles ne laissaient aucune chance à une description élémentaire entre les génomes d’une personne et les phénomènes pathologiques dont elle souffrait. Cette complexité du vivant augmentait encore si l’on prenait en compte les aspects divers de la structure sociale dans laquelle chacun était inséré, son mode de vie et son environnement, qui contribuaient au déterminisme souvent imprévisible des maladies — un Indien d’Amazonie ne souffrait pas toujours des mêmes maux qu’un Européen. Qu’importe, puisque les recherches menées par les laboratoires pharmaceutiques n’étaient pas destinées aux pays du Sud, incapables de les payer au prix fort. Les contraintes éthiques et juridiques s’avérant trop rigoureuses dans les pays riches (notamment le code de Nuremberg, adopté en parallèle aux procès des médecins nazis), les labos avaient délocalisé leurs essais cliniques dans les pays « à bas coûts » — Inde, Brésil, Bulgarie, Zambie, Afrique du Sud — où les cobayes, pour la plupart pauvres et sans soins, pourraient bénéficier des meilleurs traitements et d’un matériel de pointe en échange de leur collaboration. Des milliers de patients devant être testés avant qu’un médicament ne soit validé, les labos avaient sous-traité les essais cliniques aux organismes de recherches sous contrat, dont Covence faisait partie.

Après des années de recherches, l’équipe de Rossow avait mis au point une nouvelle molécule capable de guérir les maux dont souffraient des millions d’Occidentaux — anxiété, dépression, obésité… —, un produit qui garantirait un chiffre d’affaires faramineux.

Restait à tester le produit.

Avec ses townships qui débordaient de jour en jour, l’Afrique du Sud et la région du Cap en particulier constituaient un vivier de premier choix : non seulement les patients étaient innombrables et vierges de tout traitement, mais après les conclusions dramatiques liées aux problèmes de dégénérescence et autres effets indésirables du produit en cours d’expérimentation, il était devenu impossible de poursuivre les recherches de manière transparente. Face à la concurrence acharnée des labos, la rapidité était un atout crucial : on avait donc opté pour une unité mobile en bordure des townships où l’on testerait des cobayes dociles et sans attaches, des gamins des rues, dont personne ne se soucierait.

Pour limiter les risques, on leur inoculait le virus du sida, extrêmement efficace. L’avantage était double : l’espérance de vie des sujets était limitée et la maladie, endémique en Afrique du Sud, n’éveillerait pas les soupçons en cas de pépins.

Chargé de l’opération, Terreblanche avait profité des zones de non-droit pour passer un accord avec Mzala, dont le gang tenait Khayelitsha, lequel avait sous-traité le deal à Gulethu et sa bande de mercenaires, qui rôdaient autour des zones tampons. Gulethu et ses paumés avaient répandu le cocktail dans les camps de squatteurs sans éveiller les soupçons : le tik accrochait les gosses de la zone, on les transportait la nuit jusqu’au labo de Muizenberg, en bordure du township, afin d’évaluer l’évolution de la molécule. Ceux qui survivaient mourraient du sida et finissaient avec les cochons. En cherchant à les doubler, Gulethu avait tout fichu par terre…