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Mzala : enfui.

Terreblanche : introuvable.

Le gang des Americans : liquidé.

Les gamins : un tas d’os.

Epkeen tourna mille fois l’énigme dans sa tête amochée, et comprit enfin : la danseuse de l’Inkatha.

* * *

Le Rhodes House était le club chic du City Bowl, où mannequins et vedettes publicitaires se retrouvaient entre deux tournages — une activité lucrative due à la lumière exceptionnelle de la région.

Une clientèle masculine autosatisfaite affluait ce soir-là sous l’œil du physionomiste, un minet bodybuildé : celui qui n’avait pas le teint hâlé et la chemise blanche ouverte avait peu de chances de rentrer. Avec ses pansements sur le crâne, sa démarche de robot rouillé et ses yeux à l’eau écarlate, Epkeen avait plutôt la tête du type au bout de la corde. Il montra sa plaque au type qui accordait les sésames à l’entrée et trouva une place au bar, qui surplombait la scène.

Il arrivait à la fin du show. Entre tambours zoulous et mur de sons électriques, Zina arrachait les cordes d’une guitare incandescente sous les flashs aveuglants des ligths. Brian plissa les yeux pour calmer ses vertiges, les nerfs en fusion. Bref moment d’osmose. Au bout du séisme, Zina partit en fumée, sous un déluge de larsens et de son…

Les lumières se rallumèrent bientôt, une musique d’ascenseur pour couvrir les voix. Brian voulut commander à boire mais le barman plein de gel faisait semblant de ne pas le voir. Passé l’attraction du soir, les mannequins reprirent leur pause sur le dance-floor où des Casanova en Versace flirtaient avec leur ombre boudeuse. Epkeen guettait la sortie des artistes, au supplice — la trithérapie lui retournait l’estomac. La leader du groupe sortit enfin de sa loge ; Epkeen se présenta au milieu du brouhaha et l’attira jusqu’au bar. Elle portait une robe échancrée mais pas de chaussures. Une vraie beauté.

— Ali m’avait parlé d’une ancienne militante de l’Inkatha, dit-il en atteignant le comptoir, pas d’une furia électrique.

— Ali m’a parlé d’un ami, renvoya-t-elle, pas d’une momie.

— Vous aimez mes pansements ?

Zina fit la fine bouche devant ses croûtes :

— C’est décoratif ?

— En réalité, je souffre terriblement.

La danseuse leva un sourcil.

— Vous êtes plutôt marrant pour un Blanc, dit-elle sous les spots.

— Je vous offre un verre ?

— Non.

Le barman gominé était de toute façon littéralement pris d’assaut. Elle s’accouda au comptoir humide.

— Vous vouliez me parler ?

— Ali ne donne plus de nouvelles depuis hier, fit Epkeen. Je le cherche. C’est plus qu’urgent, si vous voulez tout savoir.

Les basses vibraient dans les enceintes. Le visage de Zina ne trahit pas la moindre émotion.

— Vous n’avez pas l’air surprise, fit-il remarquer. Il est passé vous voir, n’est-ce pas…

Elle oublia ses pansements et plongea dans ses yeux vert d’eau.

— On s’est vus, oui…

— Au sujet de Terreblanche ?

La danseuse hocha la tête. Le pouls de l’Afrikaner s’accéléra.

— C’est important, dit-il. Vous avez des infos ?

Une chape de mélancolie tomba sur le visage de la danseuse.

— Je sais que Terreblanche a acquis une ferme en Namibie, dit-elle enfin. Il y a deux ans, via une société-écran… Une ancienne base d’entraînement en plein désert du Namib. Ça avait l’air d’intéresser votre ami. Pas moi.

Epkeen ne vit pas les perles jaillir de ses yeux. La Namibie : en coupant le contact, Ali se coupait de la loi. L’adrénaline remonta à toute vitesse. Il nota les renseignements sur son paquet de cigarettes et se tourna vers l’Africaine sculpturale, toujours accoudée au comptoir.

— Une chance pour qu’on se revoie vivants ? demanda-t-il.

Zina sourit au milieu de la faune nocturne.

— Désolé, beau prince : c’est le roi zoulou que j’aimais…

Un beau sourire, comme elle, tout cassé.

10

Un camion à bestiaux passa en hurlant par les vitres de la Mercedes. Un garagiste avait mis du Scotch noir pour colmater le pare-brise arrière, mais le soleil mordait côté conducteur. Epkeen roulait depuis des heures sur la N7 qui filait plein nord jusqu’à la frontière namibienne. Il avait traversé le Veld, le pays afrikaner, cinq cents kilomètres de collines jaunes et de plaines désertiques où rien ne poussait sinon des vignes et quelques fermes jetées là comme un homme à la mer. L’image de Ruby contaminée revenait au rythme des pointillés sur l’asphalte ; si la trithérapie d’urgence ne marchait pas, si le virus mutant résistait au traitement de choc ? Il se revoyait dans la chambre, tremblant pour elle, quand Terreblanche avait braqué son arme sur son visage, et puis dans les vapes, allongé sur son corps ensanglanté…

Il arriva à Springbok au petit matin, épuisé.

Springbok était la dernière ville-étape avant la frontière namibienne ; l’âge d’or de l’extraction minière était passé, on ne trouvait plus aujourd’hui que des Wimpy criards, des églises, quelques commerces spécialisés dans la chasse aux cervidés et une collection de pierres semi-précieuses en vitrine, fierté de Joppie, le patron du Café Lounge. Epkeen gara la Mercedes devant l’enseigne, la seule ouverte à cette heure dans la grand-rue déserte.

Un air de boeremusier[39] jouait en sourdine. Calé derrière son comptoir surchargé d’écussons et de briquets vides collés là en guise de décoration, Joppie parlait l’afrikaans avec un autre red neck de trois cents livres aussi gracieux qu’une vache en train de chier. Des têtes de springbok et d’oryx ornaient les murs, figés à jamais dans une expression d’indifférence souveraine…

— C’est pour quoi ? bougonna le patron.

Même sa voix avait une chemise à carreau. Epkeen lui demanda un café en anglais et s’installa à la terrasse qui donnait sur la rue principale. Il but une eau chaude noirâtre et attendit que l’armurerie ouvre ses portes pour acheter un fusil de chasse et une boîte de cartouches.

Le vendeur ne fit pas d’histoires en voyant sa plaque d’officier de police.

— C’est un springbok qui vous a mis dans cet état ? plaisanta le type en louchant sur ses croûtes.

— Oui : une femelle.

— Hé hé !

Une troupe de blondes engoncées dans des robes à volants sortait de l’église quand Epkeen rangea le fusil dans le coffre. Le café lui restait sur l’estomac, comme l’ambiance de la ville perdue. Il reprit la route, saluant les grosses majorettes d’un nuage de poussière.

La frontière namibienne se situait à une soixantaine de kilomètres. Brian stoppa la Mercedes devant les cabanons qui faisaient office de bureau et déplia sa carcasse malmenée par la route.

Les touristes étaient rares en été, où le soleil brûlait tout. Il laissa le couple de vieux Allemands en tenue de safari devant le comptoir de l’immigration, présenta sa requête à la constable qui s’occupait des tampons et consulta le registre des entrées : Neuman avait passé la frontière deux jours plus tôt, à sept heures du soir…

Bouts de pneus éclatés, voiture pulvérisée, camion en travers de la route, un corps sous une couverture, la B1 qui traversait la Namibie était particulièrement dangereuse malgré les travaux effectués ces dernières années. Epkeen fit le plein d’eau et d’essence à la station-service de Grünau, mangea un sandwich à l’ombre de midi et partagea une cigarette avec les vendeurs de mangues assoupis sous leurs bobs. La température grimpait à mesure qu’on s’enfonçait dans le désert rouge. Les brebis s’étaient réfugiées sous les arbres rares, les camionneurs faisaient la sieste à l’abri des essieux. Il appela Neuman pour la cinquième fois de la matinée : toujours pas de réseau.

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39

Musique traditionnelle boer.