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Des racontars.

— Vous avez vu mon bébé ?

Epkeen frémit malgré la chaleur. La vieille Khoi Khoi le suppliait, avec ses yeux de folle…

Il reçut alors l’appel du poste de Sesriem : un Ranger avait trouvé les carcasses calcinées de deux véhicules dans le désert, et un corps humain, non identifié…

* * *

Des 4x4.

Deux tas de tôle encastrés sur le sable brûlant du Namib Naukluft Park. Les carrosseries avaient noirci sous les flammes mais Epkeen compta plusieurs impacts — des balles de gros calibre, dont l’une avait perforé le réservoir du Toyota… Le cadavre reposait à quelques mètres de là, carbonisé. Un homme, d’après la corpulence. Le textile de ses vêtements avait fondu sur sa peau gonflée qui, en craquant sous l’effet de la chaleur, ravivait des plaies que charognards et fourmis se disputaient. Une balle avait perforé sa poitrine. Un homme de taille moyenne. Il fallut ôter ses bottes pour voir qu’il s’agissait d’un Noir… Mzala ?

Epkeen se pencha sur le AK-47 à terre, près des plaques métalliques, vérifia le chargeur : vide… Un sifflement lui fit dresser la tête : le Ranger qui l’accompagnait lui adressait des signes depuis le sommet de la dune. Roy, un Namibien disert au sourire énigmatique. Il avait trouvé quelque chose…

Le soleil écrasait tout à l’heure de midi ; Epkeen ajusta sa casquette imbibée d’eau et gravit la dune à petits pas méthodiques. Les nausées se succédaient dans son corps affaibli. Il s’arrêta à mi-chemin, les jambes flageolantes. Le gardien du site l’attendait plus haut, accroupi, impassible sous sa visière. Brian le rejoignit enfin, les yeux pleins d’étoiles après l’ascension. Une arme reposait là, à demi recouverte par le sable, un fusil Steyr avec lunette de précision…

Le Namibien ne disait rien, les yeux plissés par la lumière vive du désert. Tout en bas, les carcasses des voitures semblaient minuscules. Epkeen observa l’étendue vide. Une vallée de sable rouge, incandescent… Pris au piège, sans réseau ni moyen de locomotion, Neuman et Terreblanche avaient dû partir à pied, couper par les dunes pour retrouver la piste. Le vent avait effacé leurs traces mais ils avaient marché plein est, en direction de la ferme…

Ils roulèrent près d’une heure sous la fournaise sans croiser le moindre animal. Le Ranger pilotait d’une main sûre, en silence. Epkeen non plus n’avait pas envie de parler. Une paire de jumelles à la main, il épiait les crêtes et les rares arbres perdus dans l’océan de sable. Ciel bleu roi, terre écarlate, et toujours pas âme qui vive sur ces terres désolées. Quarante-sept degrés, affichait le cadran de la Jeep. La chaleur gommait les reliefs, dansait en volutes troubles dans la mire des jumelles. Mirages en suspension…

— La piste n’est plus loin, annonça Roy d’une voix neutre.

La Jeep bringuebalait sur le sable meuble. Epkeen aperçut alors une tache noire, sur sa droite ; à deux cents mètres environ, contre les flancs d’une dune. Alerté, le Namibien bifurqua aussitôt. Les pneus chassaient sur le dénivelé : risquant de s’ensabler, le Ranger stoppa au pied de la butte.

Un nuage de poussière âcre passa devant le pare-brise. Epkeen claqua la portière, les yeux rivés sur sa cible — une forme, un peu plus haut, à demi recouverte par le sable… Il grimpa la crête, se protégea du vent sec et brûlant qui mordait son visage, et ralentit bientôt, le souffle court. Il n’y avait pas un homme allongé contre la dune, mais deux, côte à côte face au ciel… Brian gravit les derniers mètres en automate. Ali et Terreblanche reposaient sur le sable, les vêtements en partie déchirés, méconnaissables. Le soleil avait réduit leurs cadavres à deux souches rabougries, deux squelettes rachitiques que le désert avait dévorés… Le soleil les avait bus. Vidés. Brian ravala la salive qu’il n’avait plus. La mort remontait à plusieurs jours déjà. Les os saillaient sur leurs visages desséchés, celui de Terreblanche était devenu noir, une peau de feuille morte qui craquait sous les doigts, et ce sourire hideux sur leurs lèvres fripées… Ils avaient cuit. Même leurs os semblaient avoir rapetissé.

Epkeen se pencha sur son ami, et chancela un instant sous l’étuve : Ali tenait encore sa proie accrochée à ses menottes, à deux kilomètres à peine de la piste…

12

Ils ne seraient pas nombreux à recueillir la dépouille d’Ali.

Brian n’avait pas le numéro de Maia — il ne connaissait même pas son nom —, Zina avait quitté la ville sans laisser d’adresse et Ali n’avait plus de famille. Son corps arrivait de Windhoek, par avion spécial. Epkeen se chargerait du transfert en pays zoulou, près de ses parents et des ancêtres qui, peut-être, l’attendaient quelque part…

La chasse à l’homme en terres namibiennes s’était soldée par un fiasco. Neuman n’avait laissé dans son sillage que des morts, aucune preuve d’une quelconque connivence entre l’industrie pharmaceutique et les mafias du pays. Krugë avait évité l’incident diplomatique et personne ne souhaitait de publicité autour de cette affaire. Les corps de Terreblanche et de ses hommes restaient à la disposition des autorités namibiennes qui, par intérêts croisés, n’ouvriraient pas d’enquête… Culpabilité, écœurement, Epkeen avait rendu son insigne et tout ce qui allait avec. Il avait passé sa vie d’adulte à rechercher des cadavres, Ali était celui de trop.

Il en avait assez. Il passait la main. Il s’occuperait des vivants. À commencer par David — de retour de java, le fils prodigue avait ouvert son courrier, et téléphoné dans la foulée…

Corruption, complicités, Terreblanche et ses commanditaires bénéficiaient de protections à tous les niveaux, jusqu’à leurs propres lignes non sécurisées : Epkeen avait posté une des deux clés USB avant de filer chez Rick, l’autre nuit, avec son nom au dos de l’enveloppe en guise d’explication. Il n’avait pas parlé sous la torture. Personne ne connaissait l’existence de ces documents. David aurait le temps de remonter la piste, blinder son enquête, et surtout choisir ses alliés. Un baptême du feu, qui les réconcilierait peut-être…

Brian n’eut pas à traverser le jardin, Claire sortit la première de la maison. Elle courut jusqu’à lui et se jeta dans ses bras.

— Je suis désolée… Je suis désolée…

Claire se cramponna comme s’il allait s’échapper. Elle voulait lui dire qu’elle avait été injuste avec eux, elle y pensait depuis des jours, il fallait qu’elle leur parle mais la mort de Dan l’avait laissée sans voix, le cœur cousu : maintenant c’était trop tard… Trop tard… Brian caressa sa nuque tandis qu’elle sanglotait. Il sentit le duvet blond qui repoussait sous la perruque et la serra fort à son tour. Lui aussi tremblait : il ne restait plus qu’eux désormais…

Il releva la tête de la jeune femme et, du doigt, sécha ses larmes.

— Allons-y…

Le soleil tombait doucement sur le Veld bordant la piste du petit aérodrome. Claire non plus ne disait rien. Elle attendait, comme lui, sur le tarmac, un signe du ciel. Des teintes émeraude glissaient sur les herbes pliées par le vent, quelques nuages roses se dilataient à l’horizon mais rien ne venait. Brian songeait à leur amitié, à ses silences, à la pudeur qu’affichait Ali devant les femmes, au regard triste qu’il avait quand on le surprenait seul… Quoi qu’il ait pu se passer, Ali était mort avec ses secrets.

Epkeen dressa l’oreille. Les ailes fuselées d’un petit porteur apparurent, point vif-argent dans le crépuscule. Claire repoussa la mèche qui virevoltait sur sa joue.